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28 juillet
Bonjour,
Magnifique, mais combien il nous a fallu être patient pour y parvenir ! Nous
sommes montés au camp1 le 19 juillet par un temps nuageux mais correct, y
avons passé la nuit, puis sommes montés au camp2 le lendemain comme prévu.
C'est à partir de ce camp2 que la météo s'est dégradée : le vent s'est levé,
nous avons du attendre 4 nuits et 4 jours dans la tente, tous les trois côte
à côte avec Pierre-Olivier et Denis. Le gaz et la nourriture lyophilisée
commençaient à manquer : en effet, le 10 juillet, nous avions monté au camp3
d'importantes réserves, cinq jours de nourriture, et voilà que nous étions
bloqués au camp2 ou nous pensions rester deux jours au maximum. Le moral
était au plus bas au fur et à mesure que les jours de mauvais temps
passaient. La position couchée/assis nous engourdissait tout le corps, les
phases sommeil/éveil devenaient de plus en plus pénibles à supporter. Le
bruit (parfois les hurlements) du vent, les claquements de la toile de la
tente me faisaient par moments assez peur. La neige s'infiltrait par le
moindre interstice saupoudrant tout. Heureusement que nous discutions
librement et de bon gré tous les trois, sinon les nerfs auraient mal
supporté. Nous désespérions de pouvoir seulement remonter au camp3 récupérer
les quatre paires de ski et tous les vêtements d'altitude.
Et puis le 24 juillet au matin, le beau temps tant attendu était finalement
au rendez-vous : la veille à 14 heures, nous avions décidé que dans le cas
contraire, nous redescendions au camp de base, et c'en était fini des rêves
de 8000 mètres. Le même jour en fin de matinée, l'équipe d'italiens arrive
au camp2 et nous annonce qu'elle a décidé d'abandonner, nous laissant dans
leur tente du camp2 leur nourriture. Cela nous a redonné des forces morales
et physiques, parce que les aliments lyophilisés nous lassaient en plus
d'être en quantité insuffisante. Nous montons au camp deux et demie, à 6500
mètres le cur léger à l'idée de nous alimenter de si bonne manière. Et là
quelle surprise, nous trouvons dans deux sacs plastiques une excellente et
copieuse nourriture : fromage italien Grana en petits cubes, portions de
Nutella, soupes parfumées, etc. Nous sommes tous les trois semblables à des
enfants découvrant au pied du sapin de Noël de merveilleux cadeaux. Quel
bonheur de retrouver pareilles saveurs !
Le lendemain 25 juillet, nous sommes monté au camp3, et deuxième agréable
surprise, les deux tentes sont toujours là, avec tout le matériel que nous y
avions laissé depuis le 10 juillet.
Le 26 juillet à une heure et demie du
matin, un premier groupe de cinq (dont moi) part vers le sommet, Denis et
Pierre-Olivier sont partis à deux heures et demi avec leurs skis. Après
vingt minutes de marche, notre premier groupe avance trop lentement, malgré
deux relais en tête : en effet, nous sommes les premiers à faire la trace
dans une neige froide dans laquelle nous enfonçons jusqu'aux genoux. A mon
tour de passer devant. J'y reste durant six heures trente, jusqu'au col à
7800 mètres: pas mal ! Rien que cela me donne une très grande satisfaction.
Je traçais au sens propre avec un grand bonheur, regardant dans ma trace mes
camarades. Lorsque je sors au col à 08h45 dans un vent très violent, la
paroi Nord du Broad Peak m'apparaît d'un seul coup dans sa totalité :
verticale et tellement impressionnante sur ma gauche (vers le sommet Nord),
et tout autant face à moi vers le sommet principal. Enfin je le visualise de
très près ce Broad Peak ! Comme il est beau, à deux cent mètres de moi, j'ai
l'impression de le toucher ! Je ressens toute l'attente qui a précédé cet
instant ! Je suis fatigué mais bien davantage ému et impressionné par ce
tableau. L'horizon chinois à perte de vue est très différent, les sommets
sont moins spectaculaires. Je m'avance en direction du sommet principal : il
y a une crête rocheuse sans corde fixe, elle me parait bien difficile et
dangereuse à franchir tout seul. Je suis trop fatigué pour passer. Je dois
récupérer, je frissonne dans mes vêtements pourtant tellement chauds. Je
choisis un emplacement ensoleillé et à l'abri du vent pour récupérer. Depuis
notre départ, nous étions dans l'ombre, et le soleil me fait beaucoup de
bien. Je décide d'attendre les autres. Au fur et à mesure qu'ils arrivent,
je me sens de plus en plus fatigué. Denis et Pierre-Olivier ont avec eux dix
mètres de cordes pour s'assurer : ils partent vers le sommet à 11h30,
Pierre-Olivier en premier de cordée. Je ne peux pas m'assurer avec eux deux,
pas assez de corde. Tant pis, je n'irai pas au sommet, de toute façon je
suis trop fatigué, et puis ce n'est pas grave, il est tellement près de moi
le sommet que je suis déjà bien content d'être arrivé jusque là. Je les
regarde partir, franchir la crête rocheuse puis monter avec facilité sur la
pente neigeuse et raide. Je regrette de ne pas pouvoir les suivre. Chris (un
autrichien) parti après nous d'une tente un peu plus bas que le camp3,
arrive au col. Il s'engage tout seul et franchi facilement la crête
rocheuse. Malte a dans son sac 20 mètres de cordes, mais il reste allongé :
il somnole depuis son arrivée au col. Mike et Gordon décident de passer la
crête. Je refuse d'abord de m'associer à eux. Cinquante mètres plus haut,
tandis qu'il monte dans la pente neigeuse vers le sommet, Pierre-Olivier me
fait un signe du bras m'encourageant à venir : allez Olivier, viens !
D'accord. Il est 12h30 : je décide d'essayer! Ce serait trop bête de ne même
pas essayer. Encore un effort, j'en ai fais tellement jusque là. Pourquoi ne
pas en faire encore quelques-uns ? Avec le sommet à la clé cette fois ! Mike
passe devant, je suis en second et Gordon le troisième. La crête rocheuse
franchie, Mike fixe la corde et s'arrête. Je le rejoins puis le dépasse : ma
fatigue s'est évanouie. En fait mon moral avait pris un mauvais coup, c'est
tout, il fallait juste que je me reprenne mentalement, que je repousse mon
abattement : le geste d'encouragement de Pierre-Olivier m'a beaucoup aidé.
Quelques mètres devant moi Chris avance lentement. Je le rejoins et le
double également : il restera près de moi jusqu'au premier sommet, ou
j'arrive en même temps que Pierre-Olivier et Denis à 14h30. Nous n'irons pas
au sommet principal, une traversée d'une heure aller (trop longue à cette
heure) nous en sépare.
Je suis là, à 8030 mètres, avec Geneviève, ...
... , vous êtes autour de moi, je ne peux parler sans que les
sanglots m'étreignent la gorge.
Après trente minutes, vers 15h00 environ, nous quittons le sommet. Sans trop
de difficultés jusqu'au col, mais ce fut beaucoup plus fatiguant ensuite :
les pentes neigeuses et raides sont épuisantes à redescendre à pied. Mes
cuisses ne me portent plus, pourtant il faut bien redescendre ! Le souffle
me manque autant qu'à la montée quelques heures plus tôt. Pierre-Olivier et
Denis chaussent leurs skis 100 mètres en dessous du col : ils les ont portés
et montés sur leur dos jusque là, ils ne les déchausseront que tout près du
camp de base, 3000 mètres plus bas, le lendemain. En effet, nous passons une
nuit de repos au camp3. Pour la suite de la descente vers le camp de base,
le poids des sacs à dos approche les 25 kg ! Nous n'avons pas pu les peser,
mais les 20 kg étaient dépassés de façon certaine d'après plusieurs
personnes expertes ! En effet, il y a les deux paires de skis et tout le
matériel d'altitude de Fabien et Yannick à redescendre depuis le camp3. Le
retour à pied au camp de base est plus long pour moi que pour les skieurs :
06h50 pour 2400 mètres, sans incidents ni ampoules, rien que de l'épuisement
physique. Nous y arrivons vers 18h15 pour avaler une bonne soupe et des
pâtes avant une belle nuit de repos. J'ai du mal à m'endormir, beaucoup de
choses en tête m'en empêchent, alors je me fais une petite toilette à base
de lingettes : quel douceur sur la peau ! J'y passe ensuite un peu de crème.
Je ressent des picotements aux extrémités du gros orteil gauche et des deux
pouces, mais rien de grave : pas de gelure à redouter, couleur et
température sont normales. J'ai au bout de la langue une étrange sensation
de brûlure. Ce matin, Chris m'en donne l'explication : début de gelure lors
de l'ascension, à respirer fortement durant des heures de l'air à -30 degrés
environ. Le camp de base est un bon refuge, je m'y sens protégé. La douche
est prévue tout à l'heure si le soleil brille suffisamment.
Je vous embrasse très affectueusement,
Olivier.